La mobilité brisée brise le marché européen de l'emploi

Cet article a été publié à l'origine par Les Amis de l'Europe.

"C'est un désastre", a récemment déclaré Ilkka Paananen, PDG de Supercell, une société de jeux vidéo pesant 10,2 milliards de dollars, à propos de la procédure d'immigration dans son pays natal, la Finlande.

Il ne s'agit là que d'un seul exemple, celui d'un pays classé premier dans le dernier indice de l'économie et de la société numériques de l'Union européenne. L'immigration des talents est un désastre, non seulement en Finlande, mais aussi dans la plupart des pays d'Europe. Écouter les politiciens européens se vanter de l'importance de l'économie numérique ou de la façon dont leurs pays investissent pour devenir le prochain grand centre technologique, c'est comme parler à toutes les personnes bien intentionnées qui achètent des abonnements à la salle de sport le 1er janvier, mais qui ne dépassent jamais les vestiaires.

Pour tous les politiciens et décideurs européens qui ont de grandes visions économiques mais qui hésitent à modifier la politique d'immigration, voici un flash d'information : sans talents, vos pays ne pourront jamais devenir de grands centres technologiques. Chaque obstacle que vous mettez à l'embauche de personnes intelligentes par les entreprises est un obstacle au développement d'une économie numérique prospère. En fait, c'est un coup porté à votre économie dans son ensemble. L'industrie technologique n'est pas la seule à réclamer des talents.

Qu'il s'agisse de technologies ou d'industries plus traditionnelles, si une entreprise ne peut pas embaucher assez rapidement, elle ne peut pas survivre sur un marché mondial concurrentiel. Si la législation que vous adoptez est hostile aux entreprises, celles-ci sauront ce qui est bon pour elles et quitteront votre pays dès qu'elles auront atteint la phase de croissance.

Je ne veux pas vous décevoir davantage, mais l'Europe est entrée dans la plus grande course mondiale aux talents que notre monde ait jamais connue. Selon Korn Ferry, la pénurie mondiale de talents coûtera à l'économie mondiale 8,5 milliards de dollars d'ici 2030. Le Japon, à lui seul, devra ajouter 18 millions de personnes à sa main-d'œuvre rien que pour maintenir ses niveaux de revenus actuels. Sans parler de la croissance. C'est de ce type de concurrence mondiale dont nous parlons. Et comment l'Union européenne est-elle censée survivre, sans parler de prospérer, si elle ne modifie pas sa politique d'immigration ?

EURACTIV rapporte que, selon la base de données de l'OCDE sur les compétences pour l'emploi, au moins 80 millions de travailleurs en Europe sont inadaptés en termes de qualifications. Le président d'EUROCHAMBRES, Christoph Leitl, nous a prévenus l'année dernière : "Nous nous dirigeons en somnambule vers une crise socio-économique très préjudiciable en ne parvenant pas à remédier à l'inadéquation croissante des compétences dans une grande partie de l'UE".

Lorsque les responsables politiques réfléchissent à la manière de remédier à ces inadéquations, l'immigration n'est souvent qu'un pis-aller. Pourtant, faciliter l'accès des migrants qualifiés au marché du travail européen est essentiel pour assurer la prospérité des entreprises dès aujourd'hui, et non dans un avenir vague où les systèmes éducatifs seraient miraculeusement améliorés et produiraient un nombre suffisant de travailleurs dotés des compétences adéquates.

Il semble toutefois très difficile de remédier au problème de l'immigration. Comment peut-on commencer à essayer de démanteler et de réinventer des systèmes aussi obsolètes ? La plupart des gens n'aiment pas entendre parler d'immigration (un mot si sale) facilitée. Mais vous savez ce que les gens aiment ? Avoir un emploi. Selon l' économiste Enrico Moretti de l'université de Berkeley, chaque emploi hautement qualifié crée indirectement cinq autres emplois dans une communauté. Ainsi, en refoulant ou en effrayant un migrant qualifié par des procédures d'immigration lentes ou une bureaucratie ridicule, les gouvernements font perdre cinq emplois à leur communauté.

Lorsqu'elle est soutenue par une politique intelligente, la migration est une force économique qui contribue à une croissance durable. Pour prendre l'exemple de nos amis d'outre-Atlantique, les immigrants ou leurs descendants nés aux États-Unis ont joué un rôle fondateur dans 44 des 100 premières entreprises du classement Fortune 500, dont Apple, Ford et AT&T. Plus de la moitié des licornes technologiques américaines (start-ups dont la valeur est supérieure à un milliard d'euros) ont eu au moins un fondateur immigré.

L'Europe a besoin d'un système dans lequel l'immigration de talents qualifiés se fait en quelques secondes, et non en quelques mois. La technologie devrait être en mesure d'évaluer et de guider les talents de manière transparente dans les pays. Jobbatical y travaille tous les jours, mais ne peut aller plus loin si les gouvernements ne se joignent pas à l'effort.

Le changement dont nous avons besoin peut se produire, mais il n'est pas inévitable. Nous devons y travailler.

L'immigration n'a pas suivi le rythme des changements technologiques. Dans de nombreux secteurs, la vitesse de diffusion de l'information a transformé nos modes d'interaction et de conduite des affaires. Mais lorsqu'il s'agit de la mobilité de la main-d'œuvre, les politiques restent attachées au passé.

Prenons un exemple : il y a seulement cent ans, une chose aussi simple que passer un appel téléphonique était un processus long et pénible. Il fallait d'abord trouver un téléphone. Ensuite, il fallait espérer que la personne à qui l'on voulait parler avait elle aussi un téléphone - et qu'elle se trouvait à proximité à ce moment-là. Ensuite, il fallait appeler l'opérateur qui devait vous mettre en relation. À la fin de tout cela, vous auriez probablement oublié pourquoi vous aviez appelé en premier lieu. Un siècle, des milliards d'appels téléphoniques et des milliers d'innovations plus tard, je peux être assis à Singapour et me connecter en quelques secondes à ma fille à Tallinn par vidéo pour vérifier le bleu qu'elle vient de se faire en tombant.

Imaginez que l'immigration fonctionne de manière aussi transparente que si vous parliez à quelqu'un à l'autre bout du monde. Mais nous n'avons pas un siècle pour en faire une réalité. Nous vivons l'ère de la plus grande mobilité de l'histoire du monde. La circulation des talents détermine déjà les succès et les échecs des économies. L'Europe peut soit réussir, soit échouer. Mais nous devons au moins commencer par dépasser le stade des vestiaires et entrer dans le gymnase.

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